Des routes qui divergent...

Publié le par CapAsia

La tendınıte de Remi faıt que nous devons nous separer une nouvelle fois. Nous vous proposons cı-dessous nos deux dıfferents recıts :

Jeudi 17 novembre

 

Nous nous réveillons au sec malgré le déluge de la nuit. La tente achetée à Athènes est étanche, c’est déjà ça. Nous prenons la route vers 9h30 après avoir fait le plein d’eau potable au café-du-coin-de-la-rue où une cinquantaine de joueurs de cartes sont déjà en action. Le vent est impressionnant, il souffle de face et ralentit considérablement notre progression tout en demandant plus d’efforts. A la frontière grecque, on nous refuse catégoriquement la traversée de la zone militaire qui sépare les deux pays, longue de deux kilomètres. Malgré notre insistance, c’est à bord de deux camions que nous rejoignions la Turquie. Le chauffeur qui a accepté de prendre Rémi est peu bavard alors que le mien, Yilmaz Turkmen est plutôt sympathique. Le chauffeur en santiag assure la liaison Istanbul-Milan deux fois par semaine. Il m’offre un café dans la station essence duty-free où il fait le plein. 630 litres de gazole, il faut bien 15 minutes.  Je n’ose pas lui avouer que j’ai horreur du café e je me console en pensant que dans quelques mois nous ne pourrons pas refuser l’œil de mouton que l’on offre aux invités au Kirghizistan. A la douane, le bakshish semble de rigueur, ce sera deux paquets de Marlboro pour aujourd’hui. Nous reprenons la marche une fois le contrôle de police effectué, sans aucune difficulté. Malheureusement, après trois kilomètres, Rémi ne peut continuer. La douleur est trop forte, décidément cette tendinite ne le lâche pas. Il faut être raisonnable, nous décidons donc de nous séparer : je laisse Rémi sur le bord de la route, avec le chariot. Je récupère la petite tente au passage et je continue seul. Attendant désespérément d’être pris en stop, Rémi finira par passer la nuit à Kesan, la ville la plus proche.  

 

Remi :

Alexis est donc parti devant. J’attends au vent un camion qui semble ne jamais arriver. Son chauffeur pourrait pourtant me conduire jusqu'à Istanbul. Au bout d’une petite heure, je perds patience. Voyant un camion de la voirie à 100 m, je m’en rapproche. Un ouvrier vient à ma rencontre. Je lui demande si par hasard ils vont à Kesan. C’est le cas. Mais avant tout, ils doivent finir leur travail. Et c’est tout naturellement que je les aide en guise de remerciement.

Nous passerons bien 2h sur la route a rétablir les panneaux d’indications tombes a cause du vent avant qu’ils ne déposent proche d’un hôtel du centre de la ville. Kesan compte 40.000 habitants. Ces derniers me scrutent littéralement à mon passage avec le chariot. Les ados qui sortent de l’école (ils sont reconnaissables grâce a leurs uniformes), très curieux, me lancent des « Hello, how are you ? Where are you from ? ».

Les hommes, s’ils ne fument pas, mâchouillent des graines de tournesol, qu’ils crachent ensuite par terre.

Il est 17h30. Le dernier bus pour Istanbul était a 17h. Je dois me résigner a coucher a l’hôtel ce soir. C’est 10 euros. Les draps sont propres, TV, salle de bain. Tout confort. Si on fait abstraction de la chasse d’eau qui déverse des litres d’eau sur mes pieds et des quelques cafards qui rampent au sol…

A 18h30, je tente de retrouver Alex au rond-point qui marque l’entrée de la ville. Je rentre une heure plus tard, persuade qu’il couchera dans un autre hôtel que le mien.

Je passerai donc la soirée seul. Je n’ai plus qu’à me fondre dans la masse. Difficile néanmoins quand on est blond a lunettes. Tous ici sont bruns et arborent une belle moustache. Les graines de tournesol n’y feront rien…

Je dîne dans une cantine où je peux choisir parmi bon nombre de plats. Pour 6 lires (4euros), je mange bœuf aux petits légumes, riz pilaf. Un délice.

Dans le restaurant, je m’essaye aux quelques mots de turc appris dans la journée. Ses occupants sont amuses de voir parler un étranger ainsi. Je rentre ensuite à l’hôtel.

A peine arrive, je suis invite par Mustafa pour prendre un thé. Ce serait impoli de refuser. Il me sert en plus deux pâtisseries. Puis un deuxième thé, puis une cigarette, que je refuse…

Des vieux jouent aux cartes autour de moi. Ils m’interrogent aussi. Les discussions dérivent vite sur le foot, sujet qu’ils affectionnent avec les français car Anelka joue au Fenerbahce, Tigana entraîne le Besisktas, deux clubs d’Istanbul.

Je vais me coucher avec le sentiment que nous allons aimer la Turquie

 

Alexis :

La route est pénible, rectiligne et trop passagère. Les automobilistes turcs ne semblent pas si dangereux qu’on nous l’a laissé comprendre, même si le respect du code de la route laisse parfois à désirer. Ainsi je suis doublé par une vieille voiture conduite par…un enfant ! Bien sûr il est sur les genoux de son père mais c’est lui qui est concentré sur la route pendant que son père me salue des deux mains !

J’ai parcouru une dizaine de kilomètres lorsqu’un camion jaune s’arrête à ma hauteur. C’est Yilmaz, mon chauffeur stambouliote qui m’invite à cesser de me fatiguer contre le vent pour prendre place dans son gros bahut, direction Istanbul. J’hésite, je réfléchis, regarde la route dont je ne vois pas la fin puis je craque. Je descendrai à Tekirdag, à 125 kms d’Istanbul et je me promets de faire ce trajet en trois étapes. Le long de la côte ça peut être beaucoup plus agréable.

Après 80 km, nous stoppons pour boire un thé, un « tchaï », comme on dit ici. Le café se situe de l’autre côté de la quatre voies mais qu’importe, Yilmaz s’offre un contre-sens pendant deux cent mètres, sans oublier de saluer les jandarmas qui contrôlent la vitesse au radar.

Tekirdag est une grande ville située sur les rives de la mer de Marmara. J’y déniche un petit hôtel bon marché et profite de la soirée pour prendre le pouls de la vie en Turquie. Je suis surpris par l’animation qu’il y’a dans la rue, par les couples qui se tiennent la main, par la jeunesse branchée qui s’offre une pâtisserie après les cours, par  les publicités pour la bière locale et par la ville en elle-même, bien éclairée, propre et parsemée de petits supermarchés dont les enseignes sont bien connues en France. N’en déplaise à certains hommes politiques, cette partie de la Turquie n’a rien a enviée aux pays européens que nous avons traversés jusqu’à présent.

 

 

Vendredi 18 novembre

 

Alexis :

Ce matin la température est fraîche et le temps ne se lève pas. A 13h il fait seulement 7°C. Vers 14h, je suis contrôlé par une patrouille de police, les jandarmas, qui regardent attentivement mon passport et notamment le visa pakistanais. Tout est en règle, je peux reprendre la route. Ils repartent et s’arrête une nouvelle fois deux cent mètres plus loin. Que me veulent-ils ? Je connais leur réputation, ils pourraient bien inventer une loi nouvelle pour me réclamer quelques pièces. A ma droite des gamins jouent dans une cour d’école, j’en profite pour faire une pause et attendre patiemment au milieu des gamins que les jandarmas se décident à poursuivre leur chemin.

J’ai repris la marche depuis une demi-heure lorsqu’un fourgon blanc s’arrête à ma hauteur. Rémi en descend tout excité. Il vient d’être pris en stop et le chauffeur le conduit directement à Istanbul. Je refuse de les accompagner, je me suis juré d’attendre la métropole à pied. Et pourtant ce n’est pas la tentation qui manque : il pleut, il fait froid, il y’a du vent et de la mer que je longe je ne vois rien puisque toute la côte est sauvagement bétonnée. A l’étape j’ai parcouru 40 km et je passe la nuit à Marmara Erehit.

 

Remi :

Réveil a 8h30. Je prépare tranquillement mes affaires. Sors faire quelques courses. Puis me dit qu’il serait stupide de prendre un bus a 10 euros pour Istanbul sans avoir tente le stop. Je rentre dans une boulangerie. 4 vieux s’y trouvent. Afin d’assouvir leur curiosité j’imagine, ils m’invitent a prendre un thé. Nous causons encore de Tigana, Anelka, et des violences urbaines, principales associations d’idées liées à la France ici.

Puis je lance cette idée de faire du stop d’ici jusqu’à Istanbul. « No problem », me répondent-ils en cœur. Je pars chercher mes affaires à l’hôtel avant que l’un d’entre eux ne me dépose à une station service à la sortie de la ville. Il prend même le temps de m’écrire un mot en turc expliquant ma démarche. Deux minutes plus tard, j’embarque dans le Trafic de Repüp, un livreur de médicaments en pharmacie. Formidable timing.

Je ne vais néanmoins pas jusqu'à Istanbul. Il me dépose à Tekirdag, à 130 km de la capitale économique de la Turquie, sur un vaste parking. La ville parait morte. L’office du tourisme est évidemment fermé. Je demande à un passant comment me rendre a Istanbul : « Autostop burada, tamam ? » (Autostop ici, ok ?). Il demande à un autre passant. Trois turcs m’entoureront ainsi pour me renseigner. Finalement, ils me remettent chacun 5 YTL pour prendre un bus a la gare routière. Je n’ai pas besoin de cet argent. Je ne peux accepter. Apres 3 refus, ils me glissent les billets dans la poche. Je me dirige donc vers la gare. Mais je repère un coin idéal pour lever le pouce. Je suis pris par Selim en moins de cinq minutes, gêné pour ces trois inconnus qui m’ont donné de l’argent pour le bus.

Le trajet passe vite. Nous parlons encore de lui, de foot, mais aussi d’Istanbul. Du temps à venir aussi. « Dans trois jours, il neigera » me confie-il. La météo s’est largement refroidie, ici, à 300 km de la frontière grecque. A l’approche de cette ville de 16 millions d’habitants, les routes sont plus larges et mieux entretenues. Le trafic se fait plus dense. Il me dépose à l’orée de la ville. Je prends un taxi pour rejoindre le lycée Galatasaray, où j’ai rdv avec Clément, un étudiant à l’ESSCA à 18h. Le temps pour moi de flâner dans les rues. De remonter Itsiklal Caddesi, plus longue avenue d’Istanbul. Elle est bondée. Le tram antique a du mal à circuler…

Le long de la chaussée grasse, des hommes vendent du thé au verre. Les boutiques de ce quartier, elles, sont spécialisées dans les articles de musique.

 

 

Samedi 19 novembre

 

Alexis :

Aujourd’hui j’ai décidé de quitter la nationale pour bifurquer dans les terres. Je décolle à 7h30 avec la ferme intention de « gouter » à l’hospitalité turque des villages. Il pleut encore, il vente toujours…déprimant. Sur le chemin, Ergün, un garçon de 15 ans décide de m’accompagner un bout de chemin. Il est d’un physique plutôt rondelet et sue à grosses gouttes après deux kilomètres. Nous atteignons son village après 4 km et je le laisse reprendre doucement son souffle. Le pauvre, il semble avoir couru un marathon. A 13h, j’ai déjà effectué 29 kms. J’ai la patate et j’espère bien aujourd’hui affoler les compteurs, même si la nuit tombe à 17h. En changeant de direction aujourd’hui, j’ai vraiment le vent du nord en pleine figure. Et il souffle comme jamais ! J’ai l’impression de tirer une charrue ! Je marche dans les terres et les premiers hôtels sont sur la côte, à plus de 20kms. En cas d’extrême nécessité, je planterai la tente cette nuit mais je crains de me les geler, selon l’expression consacrée. Il paraît que les turcs ne laisseront jamais quelqu’un dormir dehors, nous verrons bien. A 18h00, j’entre dans le village de Kasiköy. Cela fait plus d’une heure que je n’ai pas vu une voiture et que je marche dans la nuit. Je m’oblige à jouer avec des cailloux pour ne pas me geler les doigts. Mes gants trempés ne me sont plus d’aucune utilité. J’ai le moral dans les chaussettes et je suis cassé en deux. Je jette un coup d’œil sur la carte : depuis 7h30 ce matin j’ai parcouru exactement 51km, ce qui constitue notre plus grosse étape depuis notre départ il y’a 9 semaines. Les hommes du village sortent du café pour me demander ce que je fais ici. J’essaie d’expliquer la situation, que je ne sais pas où dormir et que j’aimerai être hébergé. Personne ne semble décidé à m’inviter. Je me pose des questions : peut-être que cette partie de la Turquie n’est pas celle où je trouverai le plus facilement des gens prêts à m’accueillir pour une nuit ? Tous m’indiquent l’hôtel, à 10 km, dans la petite ville de Calcaça. Il m’assure qu’un minibus part dans cinq minutes. Effectivement je me retrouve dans un minibus mais celui-ci emprunte la route que je viens de faire à pied. Revenir sur mes pas ? Il n’en est pas question ! Je descend aussi vite que je suis monté et, excédé, je décide de faire les 10 kms à pied. Finalement, il ne sera que 20h30 quand j’attendrai la ville. Il n’y a pas de signalisation, je m’arrête donc demander ma route dans un café. Il y règne une ambiance particulière mais avant toute chose, on m’invite à m’asseoir devant le poêle pour me réchauffer. On me demande si j’ai soif, je demande un verre de thé. Ici il n’y en a pas, on ne sert que de l’alcool et pour moi ce sera un grand verre de rouge. Je comprends mieux l’atmosphère du bistrot, j’ai affaire à une clientèle assez mal vue dans les villages. Je m’aperçois aussi que le téléviseur diffuse une chaîne pornographique que les hommes lorgnent du coin de l’œil. On m’apporte ensuite un plat de boulettes de viande épicées. Je ne sais pas trop quoi penser : les hommes, il n’y a jamais de femmes dans les cafés des villages, sont sympathiques mais sans doute peu fréquentables, et puis cela n 'arrange pas ma situation, je ne fais que perdre du temps ici. Le patron du bistrot m’assure qu’un client passera bien dans la soirée avant d’aller dans ma direction, il pourra m’emmener. En attendant, « prend du bon temps », semble t-il me dire en me resservant de vin. Les minutes passent et personne ne se pointe. L’unique solution est désormais de passer la nuit dans le fond du café et de repartir demain matin. Je me dois d’accepter tout en songeant que je vais être encore quelques heures avec ces poivrots qui commencent à être bien joyeux.

Et puis soudain, changement de programme. Un des clients se lève et m’invite à passer la nuit chez lui. C’est le seul qui bafouille quelques mots d’anglais et il me fait comprendre qu’ici, je peux avoir des problèmes, chez lui je serai le « misafir », l’hôte. Je suis soulagé. Osgur a une bonne tête et a plein de choses à raconter. Marin de profession, il a voyagé sur tous les continents et est fier de me présenter ses passports et quelques photos. Il vit avec sa mère, sa sœur, son beau-frère et son neveu dans une petite maison du village. Il m’offre l’unique chambre de la maison pour la nuit pendant qu’ils dormiront tous ensemble dans le petit salon. J’ai beau m’épuiser à lui dire que je ne veux pas de ce traitement de faveur, je dois accepter. Tout comme les dix verres de thé que nous prendrons ensuite dans le café beaucoup plus fréquentable dont son père était propriétaire jusqu’à sa mort. Son portrait est accroché au mur, il ressemblait à si méprendre à Michel Galabru. Ce soir il y’a une journée du championnat de football turc et je compte plus de 80 habitués dans le bistrot. Les yeux rivés sur l’écran, la cigarette à la main et le thé sur la table, ils suivent avec ferveur la rencontre.

 

 

Dimanche 20 novembre

 

Alexis :

Osgur est persuadé que je marche parce que je n’ai pas d’argent. Après m’avoir offert du thé toute la soirée, l’hospitalité et le petit déjeuner à 6h00 (les turcs sont très matinaux et se rendent tous au café après la première prière), il me glisse de force un billet de 5 YTL dans la poche (env 3€) pour que je prenne le bus qui part à Istanbul. Tétu comme une mule, je continue à pied pendant 20km et décide de prendre un bus pour rejoindre le centre d’Istanbul alors que j’entre dans la proche périphérie de la gigantesque ville de 12 millions d’habitants qui s’étend sur plus de 100 kms de large. Je prends successivement le métro et un funiculaire pour rejoindre le quartier de Taksim niché sur l’une des sept collines de la ville. J’y retrouve Clément et Florian, deux étudiants de l’ESSCA qui se proposent de m’héberger en attendant la délivrance de notre visa iranien. Rémi lui est chez Damien, un autre étudiant de l’école. Vive la solidarité étudiante.


Publié dans Turquie

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article